La grosse betise en beta de Safari

Mon ami François n’est pas content à propos de la version beta de Safari 3, et il le dit haut et fort sur son site.

Ce en quoi il n’a pas entièrement tort. Mais il n’a pas entièrement raison non plus. Sinon, je commenterais même pas :-)

Revenons donc au problème initial. Apple lance une version beta de Safari pour Windows. Ça plante grave. Mais alors, vraiment grave de chez grave. De là, on peut dégager plusieurs idées :
– La version beta est programmée avec les pieds ;
– Apple est incompétente en programmation Windows, et ne devrait pas avoir diffusé la beta ;
– Ça va être l’enfer pour justifier qu’Apple est une boite cool auprès des collègues de bureau demain matin.

Maintenant, revenons un peu sur la réalité d’un beta-test. Ce que l’on nomme un produit en version beta, c’est un produit dont on sait avant même de l’installer qu’il n’est pas fiable (les esprits chagrins rajouteront que ça peut être tout aussi vrai des versions finales, avec les conséquences que ça implique). C’est inscrit dans le nom, en fait. Quand on utilise un produit en beta, on sait à l’avance qu’il peut contenir autant des bugs d’affichage que la capacité à aspirer votre disque dur dans un vortex interdimensionnel. Et si vous doutez qu’il y ait des de tels vortex dans votre disque, réfléchissez-y à deux fois.

Le souci, c’est que l’on attend de nos jours qu’une beta soit très très proche du produit final. Tellement même, qu’on arrive à penser que c’est le produit final. C’est d’autant plus vrai lorsque la beta est lancée en version publique : on a alors tendance à penser que le produit est parfaitement utilisable, en dehors de deux ou trois bugs pas bien gênants. On lit « beta publique », on pense « pour le grand public ». C’est aussi simple que ça.

Pourtant, la réalité est toujours la même : dans un cycle de développement, la version beta est la phase où l’on commence à distribuer le logiciel pour supprimer les plus gros bugs, en s’adressant à un public de passionnés, capables d’envoyer leurs commentaires avisés (ou pas, ne soyons pas dupes) en contrepartie de la simple gratification de pouvoir utiliser un logiciel avant les autres (et une licence ou un t-shirt lorsque le produit est dispo en version finale, faut pas charrier non plus). Et ceci, sans même pouvoir faire saliver ses petits camarades, puisqu’on est souvent soumis à un NDA. Mais bon, on peut voir les choses de l’intérieur, et c’est très très très intéressant. C’st du moins mon point de vue, en tant que testeur pour certains produits. Et comme d’hab, je ne vous dirai pas lesquels puisque je n’ai pas le droit, au fait, où ai-je foutu mon iPho… euh non rien :-)

Le souci, c’est qu’un jour, un gus s’est dit, « tiens, ça serait bien qu’on fasse des versions beta publiques ». Je sais pas qui c’est, mais je suis pas sûr que ce jour-là, il ait eu la meilleure idée du monde. Car on a peut-être ce jour-là mis trop de pouvoir dans les mains de gens qui ne comprennent pas forcément l’intérêt d’un beta-test. C’est à dire que ce produit est mis entre les mains de Monsieur-tout-le-monde, qui va alors s’écrier, « rah, mais c’est de la daube ce truc ! », et le désinstaller, et râler contre cette foutue boite qui a diffusé un produit qui marche pas. Alors que le but d’une beta, c’est justement de comprendre pourquoi ça ne marche pas. Ou ce qui pourrait être mieux, avant que le produit soit dispo.

Une autre stratégie peut être de rendre la beta… payante. Ça parait idiot, mais ça n’est pas dénué de sens. Pensez aux acheteurs de la version beta publique de Mac OS X : quatre heures de queue sur Apple Expo pour se procurer un système lent, aux capacités limitées, et pour la modique somme de 30 euros… Ridicule ? Pas tant que ça. Apple avait jaugé que l’attente de Mac OS X grandissait, et qu’en rendant la beta payante, elle limiterait les risques d’achat par n’importe qui. On achète Mac OS X beta, mais on sait que ça ne durera qu’un temps, et que ce temps devra être réservé à commenter les fonctions proposées. Avec au final un cadeau bonus pour les acheteurs de la version finale : leur achat de la beta pouvait leur être remboursé ! Ça, Apple ne l’avait pas dit lors de la mise en vente de la beta : ça aurait été, pour ainsi dire, contre-productif. Mais l’ensemble de la stratégie était assez futé.

Aparté : après tout, si on regarde bien, l’informatique est, à ma connaissance, le seul domaine où on se permet de diffuser un produit sans s’occuper de savoir s’il est fini ou pas. J’imagine mal par exemple un beta-test public d’automobiles :-) Plus sérieusement, on ne s’amuserait pas à filer à n’importe qui dans une boutique un téléphone gratos parce qu’il est « en beta-test, mais n’oubliez pas de nous contacter pour nous dire quand il est planté pour qu’on comprenne pourquoi, hein ». Fin de l’aparté.

Revenons à notre Safari : cela n’excuse pas l’instabilité chronique de la version beta de Safari pour Windows. Ça explique cependant il aurait peut-être mieux valu garder encore quelques temps cette version beta de Safari en version privée. Ou, encore mieux, la diffuser uniquement auprès des développeurs enregistrés chez Apple, ou demander un peu plus d’informations avant d’installer la version Windows, afin de limiter la casse et les commentaires. Là, Apple s’est un peu tirée une balle dans le pied, en rendant public un peu trop tôt ce qui aurait du rester encore dans les labos quelques jours ou quelques semaines. Quitte à faire uniquement une annonce durant la keynote, en annonçant la sortie à une date précise. Quand François râle sur cuk, il le fait parce que la version beta est publique. Elle aurait été privée, il aurait ralé auprès des développeurs. Ce n’est pas une critique sur François Cunéo en particulier, mais un comportement humain en général. La preuve, il a pas été le seul à râler.

Heureusement, il y a déjà des solutions, qui semblent bien fonctionner (en tout cas, depuis que j’ai modifié les noms de ressources, ça fonctionne de façon bien plus stable). Mais n’empêche que le mal a été fait, et que les plus gros bugs de cette version auront eu une image négative pour Apple. Ce qui lui évitera peut-être de se la jouer trop arrogante dans le futur : quand Jobs dit « on sait faire des applications pour Windows » et qu’il se prend une beigne pareille (avec quelques trous de sécurité pour la forme), ça devrait le calmer un chouïa.

Que cela ne vous empêche pas d’installer la beta de Safari, mais en vous souvenant qu’il faut éviter absolument de le faire sur une machine de prod’, et de faire des bug reports quand ça plante. Sinon ça sert à rien de la télécharger, à part vous donner quelques frissons.

9 commentaires sur “La grosse betise en beta de Safari”

  1. Je suis embeté, il n’a pas encore planté chez moi malgré une utilisation intensive (nombreuses fenetres et onglets ouverts en permanence). Je parle de la version Mac OS X, évidemment, la version Windows euh… comment dire… :-)

    Bon, c’est toujours aussi moche pour taper les commentaires ici sans parler de la taille des caractères

  2. Ah et puis, je ne sais pas si c’est spécifique à ce blog, mais impossible de taper des accents circonflexes, il faut que je teste ailleurs… Bon, il semble que ça soit général, bouhhhhh Apple, c’est une honte de sortir un produit aussi mal fini !!!

  3. En fait, le problème c’est qu’une beta privée et une beta publique… de nos jours, c’est pas le même genre de produit.

    Surtout avec Google et consors, les betas sont en fait des produits finaux;
    le sigle « beta » est juste là pour dire « y’a peut etre des imperfections », mais en fait, c’est pratiquement jamais le cas. C’est juste fait pour excuser un bug éventuel, et encore.

    Il est vrai que lorsqu’Apple propose un logiciel publique en « beta », la société a pour habitude de mettre la barre assez haute. Exemple : la beta de BootCamp a été évidemment testée en interne, et j’ai rarement vu des utilisateurs qui ont rencontré des problèmes majeurs, comme une plantage de la partition Windows, du disque dur ou même de l’application.

    Le problème est un problème de mot. Beta, aux yeux du grand public, c’est juste un logiciel comme un autre, mais un peu en avance, et qui donne l’illusion de pouvoir l’essayer avant tout le monde. Cette Beta de Safari ressemble bien plus à une beta privée, ou même une nightly build…

  4. Et encore, les nightly builds de Safari sont disponibles de manière publique et anonyme depuis pas mal de temps. Mais plus cachées, il est vrai.

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  6. Les nightly c’est autre chose: ce ne sont pas des versions de test, elles sont juste là pour faire plaisir aux impatients et aux curieux.

    J’ai fait un petit rappel de lexique là-dessus en commentaire de l’article de François:
    http://www.cuk.ch/articles/3455#commentaire_29751

    Compléments et corrections de spécialistes sont évidemment bienvenues.

  7. Laurent, est-ce que tu n’essaies pas de commenter depuis NetNewWire? Depuis ce logiciel, plein de sites ne supportent pas le circonflexe, dont celui de notre gg.

    VRic, j’ai bien lu ton rappel de lexique.

    le problème, c’est que les choses évoluent, comme l’écrit Grouik, et ce depuis quelques années seulement.

    GG maintenant!:-)

    Tu sais qu’en fait, ce que j’écrivais en humeur dans « Ils sont dingues chez Apple ou quoi » est très proche de ce que tu écris là?

    http://www.cuk.ch/articles/3453

    En fait, nous sommes parfaitement d’accord! Il y a juste sur le problème de la version Mac et sur le terme de beta que nous divergeons.

    Ce qui est rigolo, c’est que dans l’histoire, tu passes pour le grand défenseur d’Apple, et moi pour le grand enfonceur d’Apple, alors qu’au fond, nous disons les mêmes choses, mais peut-être pas avec le même ton:-)

    Cela dit, ça ne me dérange pas du tout!

  8. Bonjour Guillaume !
    Tiens, ça fait un bail que je ne t’ai pas écris ;-)
    Juste un mot à… corriger dans ton billet fort apprécié.
    On ne dit pas « aparté », mais digression :-)
    Aparté signifie « à part des autres »
    Digression : développement oral ou écrit quui s’écarte du sujet (Le Robert).
    Mais tu es pardonnable car la faute est très souvent commise.

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